Faith Beyond Belief

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Développer une vision du monde politique : des suggestions

par Pasteur Stéphane Gagné

Récemment, le premier ministre du Canada a fait un commentaire au sujet de la légitimité de l’usage des armes à feu pour la légitime défense. Cela a engendré plusieurs commentaires sur la blogosphère y compris parmi la population chrétienne canadienne qui a traditionnellement l’habitude d’être moins impliquée sur les questions sociales politiques que leurs contemporains américains. Parmi les blogueurs chrétiens francophones les plus médiatisés, j’ai vu passer des questions plutôt inusitées telles qu’« Un bon chrétien devrait-il avoir des armes à feu? » et d’autres plus fréquemment entendus comme le fameux « Un bon chrétien doit-il forcément voter conservateur? ». Vous avez probablement déjà entendu la suivante : « Un chrétien ne devrait pas se mêler de politique. Où est-il écrit dans la bible que l’on devrait se mêler des affaires du gouvernement? »

On voit dernière cette dernière question que notre mentalité « chrétienne » en matière de politique est loin de ressembler à celle de nos frères chrétiens américains qui eux sont généralement beaucoup plus partisans. Qui est responsable du flou directionnel en la matière? J’ose prétendre que ce sont nos leaders religieux canadiens. Normal, puisqu’eux-mêmes ont été enseignés avec les mêmes manquements en la matière!

L'édifice du Centre de la Colline du Parlement, en construction en 1863.Le fait est que la Bible regorge littéralement d’exemples de personnages qui ont été en contact avec les autorités gouvernementales de leurs époques respectives. Abraham, Isaac et Joseph ont traité avec des rois et des pharaons. Ensuite Moïse, Josué ainsi que plusieurs des juges d’Israël, Esdras, Esther, Néhémie, de même que Daniel et la plupart des prophètes mentionnés dans l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament ouvre avec l’arrivée de Jean le baptiste qui a lui-même fréquenté le roi Hérode. Le roi rencontra aussi Jésus. Même chose pour le gouverneur de l’époque : Ponce Pilate. L’apôtre Paul s’est entretenu fréquemment avec le gouverneur Félix et ensuite Festus ainsi que le roi Hérode Agrippa II. En étudiant chacun de ces faits, on peut réaliser que l’influence politique des hommes de Dieu tout au long de l’histoire de la Bible est d’une portée tout à fait inouïe.

Cela rend d’autant plus surprenant le fait que cet aspect des faits historiques répertoriés dans la Bible ne soit pas davantage mis en lumière dans notre culture chrétienne. D’où nous vient cette crainte à aborder les réalités politiques de notre nation? Peut-être vient-elle des mêmes craintes qui ont longtemps porté l’église à s’éloigner de la musique contemporaine propre à chacune des époques où elle a vécu. Au fil des époques, la plupart des églises qui se croyaient conservatrices face à la musique contemporaine utilisaient en réalité, une musique de style ancien, mais que leurs prédécesseurs avaient refusé avant eux pour les mêmes raisons. Nos grands hymnes classiques d’aujourd’hui étaient jadis boudés par plusieurs chrétiens sous prétexte qu’ils étaient modelés sur les airs de chants de soirée dans les pubs et les tavernes de leur temps. Ironiquement, ce qui était pour l’époque considéré comme des chants au style plus approprié aux soirées de beuveries est désormais considéré comme inspiré d’une époque de plus grande révérence spirituelle. Autrement dit, cela relève tout simplement d’une certaine crainte à faire la mauvaise chose, et possiblement aussi d’un manque de vision et de connaissance. Il faut avouer que le sujet de la politique (tout comme celui de la musique à l’époque) a le potentiel d’amener la division s’il est mal interprété.

Trop souvent, le simple mot « politique » inspire des images d’idéalismes qui frôlent parfois le fanatisme. La triste raison en incombe pour beaucoup à nos dirigeants politiques qui projettent parfois cette image eux-mêmes. Pourtant il n’en demeure pas moins essentiel de s’éduquer à développer un point de vue (vision du monde) chrétien sur le sujet.

J’ai été à même de constater un fait particulier de plusieurs pasteurs sur le sujet. En effet, des pasteurs m’ont plus d’une fois confié que de leurs confrères, j’étais celui qui connaissait le mieux le sujet de la politique. Pourtant, j’ai aussi pu constater qu’à leurs yeux cela ne représentait pas une grande valeur pour le ministère. Il ne s’agissait pas d’un quelconque mépris de leur part, mais simplement d’un manque de compréhension. Cette réalisation m’est apparue lorsque j’ai vu répétitivement ces collègues aller vers de mauvaises personnes chercher des conseils sur des sujets qu’eux ne connaissaient pas. Il pouvait s’agir de conseil en matière de droits, de commerce, d’éducation, de communications, de marketing; divers sujets que plusieurs pasteurs ne connaissent pas particulièrement, mais pour lesquelles aucun d’entre eux n’a pensé à venir me voir. Éventuellement, je me suis assis avec certains d’entre eux pour prendre le temps de leur faire réaliser que la plupart des premiers ministres n’ont pas de diplômes d’études en tant que politiciens, mais plus souvent des formations en commerce, en droit, ou comme journalistes, ou même médecins (l’actuel Premier ministre du Québec est neurologue). Autrement dit; je leur ai fait comprendre que la politique n’était pas un domaine fermé avec une définition close et limitée. Souvent, notre vision de la politique se résume à une poignée de gens idéalistes et fermés d’esprit qui se réfute obstinément une chambre remplie de leurs collègues. Nous en venons à oublier les enjeux et le grand savoir social contenu dans un tel groupe et qui représente un grand potentiel éducatif… sous les bonnes circonstances.

Je soumets que la bonne manière d’éduquer les chrétiens ce sujet doit passer par une redéfinition de ses bases. Premièrement, les bases sincères de la politique ne sont pas les enjeux de pouvoir, mais le désir honnête d’améliorer notre monde. Pour cela, il est aussi nécessaire de définir nos valeurs et nos philosophies et de s’y éduquer. Voici quelques exemples possibles :

Les rôles légitimes et l’importance :

— des gouvernements ou de la gouvernance

— du travail

— de la communauté (Exemple : le besoin de l’autre)

— de la cellule familiale et ses divers impacts sociaux et démographiques

— De la science et de la technologie

— de l’impact des communications et des médias sur notre perception et dans notre société

— de la vérité et de l’honnêteté

— de la responsabilisation et l’importance de participer (ce qui signifie : faire sa part)

— des bases des droits et libertés de la personne, le tout accompagné par des exemples de progrès de l’histoire dans ce domaine.

— des bases de la création de la richesse pour une société, pour un entrepreneur, peut-être même aussi pour un individu. Le développement et la maximisation du potentiel de chacun de ces domaines. (Par exemple; dans la même veine, on peut même apprendre à l’adolescent à maximiser l’utilisation de son temps.)

— de comment l’altruisme et la générosité constituent une richesse pour la société. (Idéalement, j’inclurais un exercice d’échange d’idées sur les manières qu’une église peut constituer une valeur ajoutée pour la région que Dieu lui a confiée.)

— de l’éducation (accompagné possiblement d’un échange d’idées sur les problèmes que notre système éducatif actuel rencontre. Les parents ont généralement beaucoup à contribuer à ce sujet.)

Il s’agit ici de simples exemples et non pas d’une liste exhaustive, mais le point à retenir est le suivant : pour développer une saine vision [vision de monde] de la politique le chrétien doit regarder au-delà des jeux de pouvoir et des questions de parti-pris et réaliser qu’il s’agit avant tout de questions de philosophies et de valeurs. La responsabilité du croyant consiste alors à définir ce qui constitue ses propres valeurs et par la suite il sera en mesure de déterminer ce qui lui ressemble le plus lorsque vient le temps d’intervenir ou de prendre des décisions. Je demeure abasourdi lorsque je vois des chrétiens qui, encore de nos jours, demandent à leur pasteur pour qui ils devraient voter en tant que chrétiens. Un bon leader d’église n’a pas à dire aux gens pour qui voter, mais serait plus avisé de leur enseigner des critères ou sujets tels que ceux mentionnés plus haut afin que chacun apprenne à prendre ses propres décisions de façon éduquée. Cela devrait faire partie de la nécessité de développer une bonne vision du monde que chaque église devrait intégrer dans ses objectifs. Après tout, si je me fie à la bible, nous semblons aussi appelés à conseiller les rois.